vendredi 20 juin 2014

Que vais-je dire à Alexis ?


J’ai fait la connaissance d’Alexis il y a quatre ans. Il cherchait un stage sur la physique des polymères aux interfaces. Quelle drôle d’idée d’avoir une idée aussi claire de son sujet de stage de master ! Les polymères sont ces longues molécules qui constituent les matières plastiques, les caoutchoucs ou les huiles de synthèses et qui ont du fait de leur grande taille des propriétés particulièrement intéressantes. Alexis avait choisi un tel sujet car il lui semblait qu’il y avait de nombreuses questions scientifiques sous-jacentes mais aussi qu’il pourrait avec un tel sujet apporter sa contribution à un domaine de recherche où les applications ne sont jamais très loin : adhésion, lubrification… J’étais particulièrement content d’accueillir Alexis dans mon équipe car, ancien élève de l’Ecole Polytechnique, il aurait pu choisir d’aller gagner beaucoup d’argent dans une banque mais ce n’était pas sa motivation première.

Depuis cette première rencontre, Alexis a beaucoup travaillé. Il a passé des nuits blanches à faire des expériences sur un réacteur nucléaire à Saclay, il a développé des programmes informatiques pour comprendre ses données, il est allé à la rencontre de chercheurs américains pour l’aider à interpréter ses résultats expérimentaux qu’il a présentés aux meilleurs experts du domaine dans des congrès internationaux, il a publié ses résultats…

Tout irait pour le mieux si je n’avais pas rendez-vous avec lui pour parler de son avenir alors qu’il a commencé à rédiger sa thèse pour la soutenir à la fin de l’année prochaine. Même si nous discutons chaque jour de science ou de petits riens, ces réunions plus formelles où nous parlons d’avenir nous inquiètent.

Que vais-je lui dire ? Alexis aime la science et l’enseignement. Il souhaite pouvoir continuer à apporter sa petite pierre à l’édifice de la recherche. Il est prêt à partir à l’étranger pour quelques années afin de parfaire son expérience de recherche, apprendre de nouveaux sujets, se former à de nouvelles techniques. Il accepte de partir alors que cela veut dire laisser ses amis, ses proches et sa compagne qui elle terminera sa thèse un peu plus tard car évidemment, en biophysique on ne fait pas une thèse en trois ans comme le voudrait le ministère qui régente tout. Il a bien conscience que le métier de chercheur ou d’enseignant chercheur n’est pas un métier de tout repos : il faut jongler entre vie personnelle et expérience, il faut savoir segmenter ses pensées pour pouvoir se concentrer sur un cours en oubliant l’expérience qui ne demande qu’à marcher… Il sait aussi qu’il devra demander de l’argent pour mener à bien ses projets de recherche puisque désormais la mode n’est plus qu’à la recherche sur projets. Il a même déjà compris qu’il faudra mieux choisir un sujet « à la mode » et expliquer en quoi ce qu’il souhaite faire répond à un défis sociétal majeur…

Que vais-je lui dire ? Ce qu’il voudrait savoir c’est s’il a une chance de devenir un jour chercheur… En fait, il est déjà chercheur mais ce qu’il cherche à estimer, ce sont ses chances de pouvoir un jour avoir un emploi stable qui lui permette de faire ce qu’il aime. Les conditions actuelles sont très négatives. Le CNRS perd entre 150 et 180 postes de chercheurs cette année car seuls les départs à la retraite sont remplacés.  Sur la base actuelle, il n’y aura probablement que deux ou trois postes pour quelqu’un comme lui dans trois ans au CNRS. Dans les universités, la situation n’est pas beaucoup plus favorable car le financement des 1000 emplois supplémentaires va surtout servir à financer les engagements de l’état sur les salaires des enseignants-chercheurs en place. Les signaux sont négatifs de toute part comme en témoigne le Comité national de la recherche scientifique.

Que vais-je lui dire ? Ce qu’il voudrait comprendre, c’est pourquoi il entend partout que la recherche est une priorité des gouvernements successifs alors qu’il n’y aura sans doute rien à lui proposer. Comment vais-je lui expliquer que les milliards dont on parle pour les grands investissements d’avenir sont des milliards virtuels qui ne se concrétiseront pas en emplois pour les jeunes comme lui mais sont un moyen de réorganiser la recherche pour faire naitre des mastodontes universitaires ?

Que vais-je lui dire ?  



1 commentaire:

  1. Ecoeurant! Et pendant ce temps la on paie 50 milliards d’intérêts financiers par an, des milliards pour les guerres de l'otan et autant pour les centaines de milliers de réfugiés et d'étrangers sans qualifications qui viennent s'installer en france...

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