J’ai
fait la connaissance d’Alexis il y a quatre ans. Il cherchait un stage
sur la physique des polymères aux interfaces. Quelle drôle d’idée
d’avoir une idée aussi claire de son sujet de stage de master ! Les
polymères sont ces longues molécules qui constituent les matières
plastiques, les caoutchoucs ou les huiles de synthèses et qui ont du
fait de leur grande taille des propriétés particulièrement
intéressantes. Alexis avait choisi un tel sujet car il lui semblait
qu’il y avait de nombreuses questions scientifiques sous-jacentes mais
aussi qu’il pourrait avec un tel sujet apporter sa contribution à un
domaine de recherche où les applications ne sont jamais très loin :
adhésion, lubrification… J’étais particulièrement content d’accueillir
Alexis dans mon équipe car, ancien élève de l’Ecole Polytechnique, il
aurait pu choisir d’aller gagner beaucoup d’argent dans une banque mais
ce n’était pas sa motivation première.
Depuis
cette première rencontre, Alexis a beaucoup travaillé. Il a passé des
nuits blanches à faire des expériences sur un réacteur nucléaire à Saclay, il a développé des programmes informatiques pour comprendre ses
données, il est allé à la rencontre de chercheurs américains pour
l’aider à interpréter ses résultats expérimentaux qu’il a présentés aux
meilleurs experts du domaine dans des congrès internationaux, il a
publié ses résultats…
Tout irait pour le mieux si je n’avais pas rendez-vous avec lui pour parler de son avenir
alors qu’il a commencé à rédiger sa thèse pour la soutenir à
la fin de l’année prochaine. Même si nous discutons chaque jour de
science ou de petits riens, ces réunions plus formelles où nous parlons
d’avenir nous inquiètent.
Que
vais-je lui dire ? Alexis aime la science et l’enseignement. Il
souhaite pouvoir continuer à apporter sa petite pierre à l’édifice de la
recherche. Il est prêt à partir à l’étranger pour quelques années afin
de parfaire son expérience de recherche, apprendre de nouveaux sujets,
se former à de nouvelles techniques. Il
accepte de partir alors que cela veut dire laisser ses amis, ses proches
et sa compagne qui elle terminera sa thèse un peu plus tard car évidemment, en biophysique on ne fait pas une thèse en trois ans comme le voudrait le ministère qui régente tout. Il a
bien conscience que le métier de chercheur ou d’enseignant chercheur
n’est pas un métier de tout repos : il faut jongler entre vie
personnelle et expérience, il faut savoir segmenter ses pensées pour
pouvoir se concentrer sur un cours en oubliant l’expérience qui ne
demande qu’à marcher… Il sait aussi qu’il devra demander de l’argent
pour mener à bien ses projets de recherche puisque désormais la mode
n’est plus qu’à la recherche sur projets. Il a même déjà compris qu’il
faudra mieux choisir un sujet « à la mode » et expliquer en quoi ce
qu’il souhaite faire répond à un défis sociétal majeur…
Que
vais-je lui dire ? Ce qu’il voudrait savoir c’est s’il a une chance de
devenir un jour chercheur… En fait, il est déjà chercheur mais ce qu’il
cherche à estimer, ce sont ses chances de pouvoir un jour avoir un
emploi stable qui lui permette de faire ce qu’il aime. Les conditions
actuelles sont très négatives. Le CNRS perd
entre 150 et 180 postes de chercheurs cette année car seuls les départs à
la retraite sont remplacés. Sur la base actuelle, il n’y aura
probablement que deux ou trois postes pour quelqu’un comme lui dans
trois ans au CNRS. Dans les universités, la situation n’est pas beaucoup
plus favorable car le financement des 1000 emplois supplémentaires va
surtout servir à financer les engagements de l’état sur les salaires des
enseignants-chercheurs en place. Les signaux sont négatifs de toute part comme en témoigne le Comité national de la recherche scientifique.
Que
vais-je lui dire ? Ce qu’il voudrait comprendre, c’est pourquoi il
entend partout que la recherche est une priorité des gouvernements
successifs alors qu’il n’y aura sans doute rien
à lui proposer. Comment vais-je lui expliquer que les milliards dont on
parle pour les grands investissements d’avenir sont des milliards
virtuels qui ne se concrétiseront pas en emplois pour les jeunes comme
lui mais sont un moyen de réorganiser la recherche pour faire naitre des
mastodontes universitaires ?
Que vais-je lui dire ?
Ecoeurant! Et pendant ce temps la on paie 50 milliards d’intérêts financiers par an, des milliards pour les guerres de l'otan et autant pour les centaines de milliers de réfugiés et d'étrangers sans qualifications qui viennent s'installer en france...
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